...je me fais tomber dessus.
Toujours en quatrième. Quelques semaines sont passées depuis la rentrée. On commence à se connaître dans la classe. Je vois qui sont les mecs cools, les nanas que j'ai envie de me faire, et les mecs avec qui je n'ai aucune affinité. Sébastien. Il est très gentil par ailleurs, mais, on a pas les mêmes terrains d'entente. Mais peu importe, l'entente est malgré tout cordiale en ce début de quatrième.
Vers la fin de l'automne, un matin, comme d'hab, math avec Georges P pour une session théâtrale de maths. Le cours se passe dans la salle qui est au sommet de l'escalier extérieur en colimaçons. Une petite salle exiguë où la petite vingtaine que nous sommes tient facilement.
Le tableau est face à la porte, il y a trois rangées de tables. Je suis, depuis lel début de l'année au second rang, complètement à gauche (me semble-t-il me souvenir). Je me dis, que dans la classe, c'est en quelque sorte ma place. Un peu comme on s'attribue tout dans la vie, dans le genre ma rue, mon immeuble, ma ville, mon café, mon restaurant, etc. Donc je m'assoie toujours à cette place, depuis le début, et j'y suis bien. Un peu aussi comme on prend trop facilement ses habitudes…
-On pourra aisément me contredire sur cette manière de présenter les choses. La rue dans laquelle j'habite, qui devient « ma rue » n'a rien à voir avec « ma place ». Ok, je sais. Dans le premier cas, je n'ai pas véritablement le choix, mais dans le second, rien ne m'empêche de changer constamment de place dans une école ou ce n'est interdit en aucune manière. J'ai pris le parti de m'attribuer une place ( un peu comme tout le monde, même si ce n'est certainement pas à dire dans cette classe...) dans cette auto organisation qui se fait depuis le début de l'année. -Et là est toute la question.
On arrive tous dans la classe, et moi un peu à la traîne, je rentre en dernier, pour voir Sébastien assis à « Ma place ». Et ça m'a vénèr comme diraient certains mômes de vingt balais que je connais.
Je dis donc à Sébastien de bouger, pour que je me mette à ma place. A cela, je me vois opposé une résistance inattendue. Non me répond-il. Je l'ai vachement mal pris. La prise de bec commence, on en vient un peu aux mains. Comme d'hab à cet âge.
C'est alors que rentre Georges P, pendant que nous nous disputons avec énergie.
Il comprend rapidement que je veux « ma place », et que j'ai envie qu'il bouge le Sébastien. Ce à quoi il réagit avec la manière bien ipésienne de donneur de leçon et de matraquage verbal. Joute verbale à laquelle je me suis prêté avec force et conviction.
La leçon de morale consiste en la chose suivante :
J'ai « ma place » ?
J'ai donc déjà des habitudes. Ce qui est un critère discriminant à l'IPES. Tu as des habitudes, donc immédiatement on te traite de vieux, on te dit que tu as l'esprit fermé… Avec des digressions infinies, qui vont de l'interpétation de dialectiques hégéliennes, à des sophismes absurdes, ne laissant pas de place à un véritable échange. Mais bon. J'ai « ma place ». Et ça pose un problème à Georges P. Et Sébastien veut me la prendre. Mais c'est une révolte ou quoi ? … Non pardon, je divague.
Je me retrouve donc auditeur de mon prof de math qui m'explique comment je dois être, comment je dois penser, et pourquoi je me goure d'avoir déjà des habitudes. En fait je ne contredis pas ce qu'il m'a dit, mais je n'ai pas compris la méthode de l'exécution sur la place publique. Faisant perdre une heure de math (j'ai déjà dit que j'aime les math ;) à mes camarades, et en me faisant lapider par mon prof.
Et ça repart… Je relance le débat en lançant un « Gamin » à Sébastien, ce sur quoi mon cher prof de math rebondit.
Pour atterrir sur moi, et je m'en reprends plein la gueule. J'ai l'impression que le cours a duré presque huit heures. Alors que une heure après on est tous dehors.
C'est parti pour une plombe où j'entends ses questions, ses réflexions sur mes réponses, sa morale, ses leçons qui n'ont rien de mathématiques, mais qui ont plus trait à la démonstration du fait que je me goure et que je me comporte mal, si on considère toutes ses théories, qui vont de celle du surhomme nietzschéen (encore une fois vachement adaptée), à des argument s prétendument platoniciens, en passant par les références aux pièces de notre bien aimé prof de théâtre : Chemli.
Que l'on soit bien d'accord. Je ne remets pas en question les propos de Georges P. Certains correspondent à ma manière de penser, et je lui accorde un peu de crédit. Pour ça. Mais c'est la méthode qui m'a étonnée et surpris. (Je me sers d'euphémismes :)
Combien même la remise en question, le questionnement philosophique sont au centre de ce qu'on apprend à l'IPES, je n'ai jamais véritablement compris pourquoi il m'est tombé dessus comme ça.
Mais une heure de moralisation, une épreuve mentale qui n'a pour but que de me descendre ? Ou de provoquer chez moi une réaction ? Mais laquelle ?
Peut être de comprendre que mon salut est dans la recherche de la vérité, au travers d'activités d'expression corporelles et dramatiques, en lieu et place du théâtre dirigé par Chemli. De ses pièces où la vérité de la vie est exprimée, où on peut espérer grâce à elles comprendre et entrevoir les véritables idées desquelles nous ne voyons que les ombres, humbles mortels attachés face au fond de la caverne que nous sommes… Peut être. Beaucoup y ont eu droit à une de ces séances de remise en question, face à la classe, face à l'amphi entier, face aux questions incessantes de l'interrogateur. En tout cas ces remises en causes permanentes étaient légion.
Voici un des moyens par lequel s'exprime le prosélytisme constant des ipésiens et autres détracteurs de la pensée chemlienne. Toujours à l'affût d'une pensée ou d'une idée à laquelle opposer un argument pour amener sur un débat bien ipésien.
Pour revenir à la question de départ, je ne sais pas quelle est la démarche induite par ces comportements ultra moralisateurs et avilissants. J'y vois une sorte de manipulation. Une manière de convaincre tout interlocuteur par le verbe que si tu cherches une vie meilleure, tu n'as qu'à essayer d'approcher cette philosophie profonde et d'une richesse infinie qui nous est donnée par Chemli, grâce à ses pièces, à ses cours, à ses créations, son Œuvre… C'est ça ouais.
Tous les discours ne sont prononcés que dans un seul but : démontrer la nécessité pour tout un chacun de développer ses sens, jusqu'au sixième : celui du Drame.
Le sens du Drame. Phrase de prof de théâtre raté qui veut tout et rien dire. On peut mettre effectivement de très belles choses sous cette idée, mais si le discours dérape dans la rhétorique et les sophismes douteux, on en vient à l'IPES. Le sens du Drame n'est que celui que l'on va vivre. On s'oublie, on se donne, on s'abandonne. C'est arrivé à quelques uns. Je félicite ceux qui en sont sortis et qui se reconstruisent. Je pleins les ipésiens convaincus et acharnés.
Un des éléments structurels de la méthode IPES est ce procédé permanent de remise en question, qui souvent tend clairement vers l'humiliation.
La tronche farcie d'une heure de moralisation ipésienne, je sors avec mes camarades, noyé sous une foule de sentiments distincts. De l'énervement un peu, une pincée de frustration de n'avoir su lui répondre – pour ma défense, frais élève de quatrième, je n'ai pas su rivaliser avec mon prof de maths de trente balais, un pantin formaté par des phrases toutes faites… - et un peu de honte de m'être fait allumé devant tout le monde une plombe durant.
A partir de là j'ai changé radicalement de position dans l'école.